[Enquête IFOP]
L’écriture manuscrite menacée d’extinction?

Traitements de texte, courriers et agendas électroniques, messageries instantanées, échanges dématérialisés avec les administrations, les sites d'e-commerce ou les forums de discussion... Les occasions d’écrire à la main se sont raréfiées au fur et à mesure que le digital s’emparait de la quasi-totalité des moyens de communication mis à notre disposition. À l’heure du tout numérique, l’emploi du stylo et du crayon est-il définitivement condamné ?

Pour s’en faire une idée précise, OTYPO et l’agence spécialisée en date Flashs ont confié à l’IFOP le soin d’interroger plus de 1 000 Françaises et Français âgés de plus de 18 ans sur leur pratique de l’écriture manuscrite.

Si les résultats de l’enquête* montrent que les Français écrivent effectivement de moins en moins à la main, ils témoignent d’un attachement persistant à l’écriture sur papier chez un nombre non négligeable d’entre eux, notamment chez les plus jeunes. Ils révèlent également combien écrire à la main a pu être un handicap à l’école pour des millions de nos concitoyens, les hommes indiquant en avoir bien plus souffert que les femmes.

En phase avec l’actualité, la dernière partie de cette étude se penche sur l’adhésion de la société à l’usage en différentes circonstances de l’écriture inclusive. Partagés sur cette question, voire divisés selon leurs opinions politiques, les Français le sont aussi selon leur genre : les femmes, qui y voient un progrès dans le combat pour l’égalité, sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à approuver l’usage du point médian dans leurs échanges quotidiens. Un chiffre retient par ailleurs l’attention : 29% des personnes interrogées disent avoir déjà utilisé le point médian, preuve d’un usage en voie de développement en dépit de réticences encore farouches.

Le clavier a pris le dessus...

Une minorité de français écrit plus souvent sur papier que sur clavier l'écriture sur papier étant davantage privilégiée parmi les français peu diplômés

Aujourd’hui, plus de la moitié des Français (55%) déclarent écrire plus souvent sur clavier qu’à l’aide d’un crayon ou d’un stylo. Certes, un quart (25%) d’entre eux utilisent les deux de manière indifférente, mais seulement un peu plus d’1 sur 10 (11%) écrit encore plus fréquemment à la main qu’autrement. C’est notamment le cas des employés et des ouvriers qui sont 14% à être dans ce cas.

Les jeunes écrivent de moins en moins sur papier et utilisent largement le clavier

En la matière, les plus jeunes ne se distinguent pas de l’ensemble de la population puisque la proportion des 18-24 ans à privilégier l’écriture sur papier est la même (11%), en baisse toutefois de 3 points par rapport à une précédente enquête de l’IFOP menée auprès d’eux en 2016. Ils sont cependant légèrement plus nombreux à dire qu’ils utilisent plus généralement un clavier (59%) que la moyenne des personnes interrogées (55%).

... mais le stylo garde ses adeptes

Pourtant, bien que l'indifférence domine, les français préfèrent écrire sur papier qu'avec un clavier

Lorsqu’on leur demande, distinctement de l’usage régulier qu’ils en font, de donner quel mode d’écriture ils préfèrent, 4 Français sur 10 ne choisissent pas entre papier et clavier, passant visiblement de l’un à l’autre sans prédilection particulière. Quant à celles et ceux qui témoignent d’une attirance marquée, ils se partagent de manière très équitable entre les tenants du clavier (25%) et ceux du papier (26%).

Les jeunes préfèrent également aujourd'hui écrire sur papier

Parmi ces derniers, les femmes et les moins de 24 ans sont les plus nombreux (31%) à dire leur inclinaison pour l’usage du crayon ou du stylo, une situation dans laquelle se trouvent également en nombre les répondants ayant fait des études scientifiques (41%), contrairement aux diplômés des filières techniques et in formatiques (16%).

L'usage manuscrit de plus en plus rare

Près de 8 français sur 10 estiment aujourd'hui écrire moins à la main qu'il y a 10 ans

Il n’en reste pas moins que l’univers numérique dans lequel nous évoluons aujourd’hui a considérablement et rapidement réduit les occasions d’écrire manuellement. C’est le constat sans appel que fait une très large majorité des Françaises et des Français : près de 8 sur 10 (78%) estiment écrire moins à la main qu’il y a 10 ans, et près de 6 sur 10 (58%) disent que c’est pour eux beaucoup moins le cas.

Les plus de 65 ans sont ceux qui en témoignent le plus fortement puisqu’ils sont 86% à faire état de cette raréfaction de l’usage du stylo ou du crayon dans leur vie quotidienne, une proportion que l’on retrouve également parmi les cadres et les professions intellectuelles supérieures (85%) où le recours aux échanges digitaux est la norme

Cartes postales et mots doux en désuétude

Moins d'un français sur deux a écrit une lettre presonnelle sur papier il y a moins d'un an

Conséquence logique, les traditionnels supports papier sont de moins en moins utilisés par les Français au profit d’envois électroniques. Si l’écriture manuelle n’a bien entendu pas complètement disparu - 68% des personnes interrogées ont rédigé quelques phrases sur papier au cours de l’année écoulée -, moins de la moitié d’entre eux (41%) ont écrit une lettre personnelle. Les moyens de communication indispensables et prisés il y a encore quelques décennies sont à l’évidence tombés en désuétude aujourd’hui. Ainsi, moins d’1 Français sur 3 (31%) a écrit une carte postale ou envoyé une carte de vœux rédigées à la main lors des douze derniers mois

Quant aux mots d’amour, ils transitent visiblement de plus en plus par les applications de messagerie puisque seuls 28% de nos compatriotes ont fait l’effort d’en formuler un de leur plus belle écriture dans le même temps. Notons enfin, même si cela reste heureusement anecdotique, que 7% des personnes interrogées ont tout de même pris la plume pour imiter la signature de quelqu’un à son insu...

Un handicap masculin

Près d'un français sur deux trouve belle son écriture manuscrite Même s’ils l’utilisent de moins en moins, quel regard portent les Français sur la qualité de leur écriture ? Ils sont à première vue parfaitement partagés - 50% la trouvant belle ou assez belle et 50% pas vraiment belle ou pas belle du tout -, mais les femmes sont largement plus nombreuses (57%) à apprécier leur calligraphie que les hommes (41%). Une différence entre les genres que l’on ne retrouve pas vis-à-vis de l’appréciation qu’ils portent à leur signature : moins de la moitié (49%) des répondants jugent beau leur paraphe, femmes et hommes en ayant exactement la même perception. Une part signigicative de français considèrent que leur écriture manuscrite a déjà été un handicap

Plus critiques sur la qualité de leur écriture, les hommes sont également plus nombreux à dire qu’elle a pu leur porter préjudice dans différents aspects de leur vie. C’est notamment vrai lorsqu’on les interroge sur leurs années d’école. 28% jugent ainsi globalement que leur écriture a été un handicap durant leur scolarité, une proportion deux fois plus élevée que chez les femmes (12%). Il en va de même pour les remarques qu’ils ont pu subir de la part d’enseignants ou d’autres élèves (38% des hommes indiquent qu’ils en ont été victimes contre 23% femmes) ou des mauvaises notes qui en ont découlé (33% contre 22%). Notons aussi que l’origine sociale n’est pas neutre dans les conséquences engendrées par des difficultés d’écriture en milieu scolaire : 35% des personnes parmi les plus modestes considèrent qu’elles leur ont valu de moins bonnes notes contre 24% chez celles appartenant à la classe moyenne supérieure.

Si les chiffres sont moins forts lorsqu’on aborde le milieu professionnel, la gent masculine semble être de même plus pénalisée par son écriture manuscrite puisque 14% des Français (contre 7% des Françaises) ayant travaillé ou étant retraités affirment qu’elle leur a posé soucis lors d’un recrutement, 13% des hommes (contre 7% des femmes) ayant même renoncé à postuler un emploi parce qu’il leur fallait écrire à la main une lettre de motivation ou réaliser un test graphologique.

L’écriture inclusive au cœur de l’actualité

Que l’on rédige à la main ou au moyen d’un clavier, l’écriture inclusive fait, depuis son apparition voici quelques années, beaucoup parler d’elle. Considérée par les uns comme un progrès indéniable en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, et par d’autres comme une lubie complexe et inutile, elle a récemment encore été sous les projecteurs de l’actualité. Début 2023, 60 députés ont déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi pour interdire très largement son usage dans les publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux. Dernièrement, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les statuts de l’université de la même ville au prétexte qu’ils avaient été rédigés en écriture inclusive. Enfin, mi-mai, un examen de droit de la famille de l’université Lyon 2 a suscité un émoi certain pour les mêmes raisons. Il était donc intéressant d’interroger aussi les Français sur leur perception de ce phénomène qui exacerbe les sensibilités.

Le point médian séduit plus les femmes

Les français sont dans l'ensemble partagés sur l'écriture inclusive

Pris dans leur ensemble, les Français sont très partagés sur l’utilisation du point médian (les candidat.e.s par exemple), l’une des formes les plus courantes de l’écriture inclusive, en différentes circonstances. Ils sont ainsi à peine plus de la moitié (51%, dont 15% très favorables) à se prononcer en faveur de son usage dans les documents officiels et administratifs, et tout juste moins de la moitié (48% à 49%) lorsqu’il est question d’échanges personnels, de médias ou d’examens universitaires.

En revanche, de nettes différences se font jour en fonction du genre et de l’âge des personnes interrogées, les femmes adhérant nettement plus que les hommes à l’idée d’utiliser le point médian, preuve qu’elles y voient une réelle utilité pour l’affirmation de l’égalité entre sexes. Elles sont ainsi 59% à y être favorables pour la rédaction des documents administratifs (contre 42% des hommes), 56% (contre 42%) en ce qui concerne les échanges professionnels ou encore 53% (contre 44%) pour les échanges entre amis. Quant à l’aspect générationnel, il met en exergue une nette fracture puisque quand 63% des 18-34 ans adhèrent à l’usage du point médian par les administrations, à peine plus du tiers des plus de 65 ans (36%) partage cette opinion.

Fracture gauche-droite

L'écriture inclusive fait office de repoussoir parmi les électeur d'éric zemmour

Sur l’échiquier politique, la question du point médian séduit plus largement à gauche qu’à droite, plus de 6 électeurs sur 10 de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2020 se prononçant pour son emploi dans tous les items qui leur sont proposés. En revanche, ceux d’Éric Zemmour y sont farouchement opposés : ils ne sont par exemple que 14% à voir d’un bon œil du point médian dans les échanges professionnels et 16% à estimer qu’une telle pratique pourrait s’appliquer aux documents administratifs. Si un tiers seulement des sympathisants de Valérie Pécresse adhèrent globalement à cette idée, ceux de Marine Le Pen reflètent le plus le sentiment très partagé des Français, avec des taux d’approbation aux alentours de 50%, légèrement supérieurs à ceux émanant des électeurs du camp présidentiel.

Adeptes et réfractaires

Près d'un français sur trois a déjà utilisé le point médian

Voilà pour la théorie. Mais qu’en est-il de la pratique ? L’étude menée par l’IFOP révèle que 29% des Français disent avoir déjà utilisé le point médian dans leurs échanges, 12% indiquant toutefois y avoir été réticents contre 17% auxquels cela n’a pas posé de problèmes. Il est intéressant de souligner qu’un quart (25%) des Français indiquent ne pas en avoir fait usage, mais n’y seraient pas opposés le cas échant si cela devenait la règle. Les réfractaires demeurent cependant nombreux, près de la moitié (46%) des personnes interrogées soulignant qu’ils rechigneraient à se plier à une telle obligation.

À nouveau, l’âge joue considérablement dans l’emploi de ce fameux point médian : près de la moitié (49%) des 18-24 ans mentionnent l’avoir déjà utilisé, soit le double de la proportion enregistrée parmi les plus de 65 ans (24%). Enfin, les répondants issus de la filière Lettres/Langues sont quelque 53% y avoir déjà eu recours, bien au-dessus de ceux ayant suivi un cursus commercial (30%) ou scientifique (31%).

*Étude IFOP pour l'entreprise Otypo (spécialité tampon et signalétique) réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 15 au 16 mai 2023 auprès d’un échantillon de 1 003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.